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"Herbe noire"

L'homme a tant agressé la forêt, qu'elle finit par dépérir. Le rapport "Sonasilva" publié en août dernier, an fait état. Le mal des arbres touche déjà 55 à 60 % de la forêt suisse, et ne cesse de progresser. Pour préserver les essences qui disparaissent l'Institut fédéral de recherches forestières stocke des graines d'arbres. Pour nous assurer quel futur ?

La Protection Civile nous donne l'illusion de sécurité. S'attaquer aux conséquences des guerres et des catastrophes n'a jamais permis de les éviter. Bien plus, en faisant croire aux gens qu'ils vont être sauvés, ce système tente d'apaiser les craintes, et retarde une prise de conscience nécessaire, pour combattre les causes des conflits et des catastrophes. De plus, les accidents industriels ont le fâcheux défaut de ne pas prévenir, lorsqu'ils se produisent. Quelle solution nous est proposée ?

Une société de déchets ! Faut-il qu'ils entrent au musée pour que l'on voie la réalité en face ?

Aujourd'hui, l'homme, l'artiste est tenu de prendre position, de montrer, de dénoncer, afin d'augmenter la réflexion de chacun, de faire prendre conscience de certains de nos comportements aberrants.  

Ce fut mon propos à la Cas'Art. L'occasion était rêvée. Sensibilisé par Tchernobyl, Tchernobâle, et leurs conséquences pour l'environnement, par la pollution à Genève, où l'air devient irrespirable, ou les risques d'un accident nucléaire sont réels de par la proximité de Crevs-Malville, je travaillais, depuis plusieurs mois, sur une série de "Mutants", hommes en métamorphose. Je pouvais enfin concrétiser un vieux phantasme, celui de faire naître la vie dans une usine désaffectée, vouée à la démolition, déchet par excellence de notre civilisation industrielle de consommation (symbole de la mort) ;

d'accomplir "le geste auguste du semeur"en y plantant de l'herbe végétale ordinaire par excellence, qui a traversé les siècles, et s'est aguerrie au cours de ces derniers, des pires agressions naturelles.

Après avoir résolu quelques problèmes techniques (le métier de jardinier ne s'improvise pas, spécialement dans ces Iieux), le jour de semer, est arrivé. 1

Plusieurs fois par semaine, je me rendais à la Cas'Art de l'Oncle Tom pour suivre la germination des graines, la croissance des brins d'herbe, leur orientation vers les sources lumineuses, leur verdoiement, pour les caresser, les apprivoiser en quelque sorte ; pour humer l'odeur de la terre mouillée, lorsque je venais d'arroser, mêlée à celle de l'herbe fraîche, du café2 et des émanations de peinture, utilisée par les artistes travaillant à leur réalisation.

Parallèlement, je poursuivais sans relâche la confection des "Mutants". Homme, né de la terre, j'utilisais cette même terre pour l'exprimer.

Terre battue, lancée, déchirée, fissurée, éclatée, et enfin modelée, où son caractère brut était mis en évidence ; puis, par endroits, lisses, polie, révélant un nez, une bouche, un œil, désignant l'homme, ou ce qui l'en reste. Un visage, une expression. La tête devient de plus en plus importante, le corps ne se manifeste plus que par elle.

La terre, ayant enregistre toutes ses manipulations, restituait l'expression désirée de cet homme meurtri, métamorphosé par les agressions multiples. Parfois une intervention colorée s' imposait, afin d'accentuer certains caractères, de les porter à leur paroxysme. Le temps du séchage écoulé, vint le temps du passage au feu.

Ici, le type de cuisson choisi a été celui du four en papier, particulièrement adapté aux effets recherchés. Il consiste à cuire les céramiques, en prise directe avec le feu. 

Le four en papier a été mis au point par Madame Aline Favre, il y a quatre ans, dans le Jura. Le four en papier est apparenté aux cuissons dites "primitives" d'Afrique et d'Amérique du Sud. Sa construction se fait en plein air, son combustible est le charbon de bois et le bois. Il a pour coque du papier enduit de terre, à usage unique, qui joue le rôle d'isolant.

Un four en papier a été construit dans la cour de l'usine le jeudi 1er octobre 1987. La température élevée du four, ainsi que l'adjonction de sel (na cl), ont permis une parfaite vitrification des glaçures et des effets spéciaux. L'herbe coupée la veille, ainsi que des grains de café derniers rescapés de l'ancienne usine de torréfaction, ont servi à l'enfumage des pièces. Le défournement a eu lieu tard dans la nuit.

L'aménagement de l'espace pouvait être enfin réalisé. "Le musée", premier espace, garde par deux cerbères, était constitué d'herbe verte, de graines germées en bocaux et de sculptures. Dernier espace harmonieux, où la vie "en conserve" à encore droit de cité.

Le deuxième espace, où l'herbe, noire, est morcelée en damiers, signe "d'échec". La présence suspendue des "Mutants", c'est l'homme du 21éme siècle si nous ne stoppons pas le cycle de destruction.3

© J.Gabriel - octobre 1987

1 Correspondance avec la vie quotidienne : Ce même jour, en partant de mon domicile, sur le bord de la route, j'habite Puplinge, Je rencontrai un jardinier qui semait du gazon autour d'un centre de loisirs. Pure coïncidence !

2 Ancienne usine de torréfaction.

3 Hasards de la vie quotidienne ? Quatre jours avant le vernissage, la Cas'Art est saccagée. Une surface de gazon arrachée, des poteries cassées. Signature : "skins".

 

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